Dans les heures qui ont suivi le raid de bombardement contre une usine d'armement au Soudan, le mois dernier, les médias internationaux se sont empressés de pointer Israël du doigt. Mais, le fait même que des milliers de soldats américains, comprenant des chefs militaires de haut-rang, étaient présents le jour-même où le Soudan a subi cette attaque, s'est noyé dans la multitude des reportages. Si les Etats-Unis ont effectivement collaboré avec Israël dans la mise au point de cette attaque, elle aurait, alors, tout l'air d'un galop d'essai d'un type tout-à-fait différent – un du genre qui pourrait apporter un démenti cinglant aux désaccords publics entre les deux pays, au sujet d'une intervention en Iran.
Selon Michaël Ross, un ancien officier du Mossad, « cela ne fait absolument aucun doute » que le complexe de Yarmouk était utilisé par les Gardiens de la Révolution Iranienne. Le quotidien israélien Haaretz note, également, que des membres de l'opposition soudanaise ont désigné Yarmouk comme une installation gérée par le CGRI. Ross affirme que le Soudan « est une plaque tournante pour les activités du CGRI depuis 1989 ». Il ajoute qu'« En 1995, en représailles pour l'attentat à la bombe contre l'association l'AMIA en Argentine, en 1994, nous réfléchissions à l'idée de mener des représailles contre les Iraniens au Soudan. C'est le Premier Ministre Rabin qui a jeté la mission à la corbeille par crainte d'une escalade ».
Cependant, au cours des dernières années, Israël s'est débarrassé de ces craintes. On pense assez largement que les Israéliens ont mené plusieurs opérations militaires contre des cibles au Soudan. En 2009, on rapporte qu'ils ont lancé trois frappes aériennes au Soudan, prenant pour cibles des cargaisons d'armes iraniennes destinées au Hamas dans la Bande de Gaza. L'une de ces attaques a détruit un convoi de 17 camions . Une autre attaque, en 2011, a pris pour cible une voiture transportant deux hommes près de la ville de Port-Soudan. Et Reuters rapporte que « Des sources du renseignement étranger ont déclaré qu'Israël a dirigé un drone sans pilote contre un convoi au sud de Khartoum [en septembre] qui a détruit 200 tonnes de missiles et munitions ».
Comme ils le font toujours, à la suite d'une attaque sous couverture, les responsables israéliens ont démenti avoir eu connaissance de ce raid récent – "Il n'y a rien que je puisse dire à ce sujet", a déclaré le Ministre de la Défense Ehud Barak, à la télévision israélienne. Bien qu'on trouvera difficilement quelqu'un pour le croire sur parole. Mais la question la plus intéressante reste de savoir si les Etats-Unis ont été impliqués. Le quotidien arabe Al-Hayat a rapporté que certains responsables soudanais pensent que les Etats-Unis savaient, par avance, que la frappe aurait lieu, et qu'ils ont fermé leur ambassade par crainte de représailles. La porte-parole du Département d'Etat, Victoria Nuland a désigné cet article comme reposant sur de « fausses allégations", en faisant remarquer que l'Ambassade avait été fermée depuis le 12 septembre pour des raisons de sécurité.
Mais, il y a plus que des sous-entendus. Le 24 octobre, Israël et les Etats-Unis se sont livrés à un vaste exercice militaire conjoint, connu sous le nom d'Austere Challenge 2012, auquel 3500 hommes de troupes américaines ont pris part.
Austere Challenge impliquait le déploiement de systèmes de défense anti-missiles sophistiqués américains en Israël, mais d'aucun avion, selon le Département de la Défense US. Cela dit, quelques heures à peine avant que les manœuvres ne débutent, quatre avions de chasse – dont on impute largement l'appartenance à Israël- ont, selon les reportages, bombardé un dépôt d'armes attribué au Corps des Gardiens de la Révolution Islamique d'Iran, dans la capitale soudanaise de Khartoum.
Il est, aussi, important de noter que Yarmouk constituait une cible d'intérêt prioritaire, aussi bien pour les Etats-Unis qu'Israël, depuis un certain temps. Un câble diplomatique de 2006, qui a « fuité » du Département d'Etat note que l'installation disposait « du potentiel pour fabriquer du matériel destiné aux missiles, aux ADM ou à certains autres programmes d'armement ». Plus tard, cette année, le Département d'Etat l'a signalé dans sa liste d'enregistrement fédérale comme une entité suscitant des préoccupations quant à la prolifération. Si on remonte aussi loin qu'en 1998, Human Rights Watch attirait l'attention sur ses inquiétudes, selon lesquelles Yarmouk "stockait des armes chimiques pour l'Irak".
Un responsable américain de la Défense, familier des opérations américaines en Afrique du Nord, pense qu'il existe une autre possibilité : « Les Israéliens l'ont fait, même avec la présence de l'armée américaine chez eux, mais sans lui en parler ».
Mon collègue Reuel Marc Gerecht, un ancien agent de la CIA, est d'accord avec cette version. Il ajoute : « C'est un avant-goût possible de ce qui pourrait bien arriver d'ici juin, contre [les installations nucléaires en ] l'Iran. Les Israéliens ne demanderont pas l'autorisation aux Etats-Unis pour mener un raid contre l'Iran ». Cependant, le Major Robert Firman, un officier des affaires publiques au Bureau du Secrétariat de la Défense, m'a dit que l'armée américaine n'avait « eu aucune information préalable » et n'avait fourni « aucun assistance» à cette attaque dont tout le monde parle au Soudan.
Selon toute vraisemblance, d'après Jacob Abel, un ancien analyste de l'Iran à l'Agence du Renseignement de la Défense, cette attaque a été accélérée par la découverte d'une roquette signifiant "un changement des règles du jeu" – une d'un type de plus longue portée ou de charge plus lourde que ceux qui avaient précédemment été transférés clandestinement à Gaza – et qui avait, soit été fabriquée, soit entreposée à Yarmouk. « Les Israéliens devaient probablement surveiller l'installation ou alors, ont intercepté des informations qui ont suscité de profondes préoccupations pour la suite».
Il y a également suffisamment d'amples raisons de penser que l'attaque était une forme de message destiné aux Iraniens. Non seulement, elle a (une nouvelle fois) démontré que les activités du CGRI au Soudan sont très bien retracées. Elle a aussi fait la démonstration que les avions-bombardiers d'Israël peuvent frapper des cibles à très grandes distances – plus spécifiquement, à une distance qui est au moins égale, voire plus éloignée que la distance existant entre Israël et les sites nucléaires iraniens. Autre recoin intéressant de l'affaire, immédiatement avant que les chasseurs frappent l'installation, toutes les télécommunications de la zone environnante se sont interrompues, selon les témoignages, de manière identique à ce qui s'était produit au cours des minutes menant à la frappe d'Israël contre le réacteur nucléaire syrien, en 2007.
Bien évidemment, une attaque contre les installations nucléaires iraniennes relèverait d'une initiative tout-à-fait différente. L'une des cibles d'Israël en Iran, l'installation nucléaire de Fordow, est enterrée profondément dans les flancs de la montagne et elle est lourdement fortifiée. Cela a pour conséquence que les bombes dont Israël aurait besoin pour faire le travail, devraient être bien plus puissantes, nécessitant plus de carburant qu'il n'y en a eu besoin pour frapper Yarmouk. Et, alors que les défenses anti-aériennes du Soudan sont, pour ainsi dire, inexistantes, celles de l'Iran sont bien plus robustes. Finalement, ajoute Gerecht, le nombre de chasseurs-bombardiers nécessaires pour attaquer l'Iran devrait être au moins vingt fois l'équivalent de celui qui a atteint le Soudan. C'est pour cette raison qu'il est difficile de concevoir une attaque directe contre l'Iran sans une forme quelconque d'implication américaine.
Et c'est bien précisément pourquoi la présence de l'armée américaine en Israël, au cours même de cette récente opération militaire de grande envergure au Soudan intrigue tant. Effectivement, savoir si oui ou non les Etats-Unis étaient impliqués n'importe pour ainsi dire pas. L'Iran doit, désormais, prendre en compte cet épisode récent dans ses calculs nucléaires. L'éventualité, tout-à-fait probable, que Jérusalem et Washington aient fini par combler le fossé qui les sépare dans le débat au sujet d'une intervention en Iran et, en soi, une arme qui pourrait être bien plus dévastatrice…
Jonathan Schanzer, ancien analyste du renseignement contre-terroriste au Département Américain du Trésor, est vice-président pour la Recherche à la Fondation pour la Défense des Démocraties.