À la prochaine négociation d'un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël - et il y aura une prochaine fois – le Qatar et la Turquie devraient s'asseoir aux côtés du Hamas autour de la table, là où ne figurent pas des diplomates respectables qui tentent de s'engager dans l'art honnête de gouverner.
Il est de plus en plus difficile de nier que les deux alliés de longue date des USA, Doha et Ankara, sont aussi des partenaires à part entière du Hamas. Depuis un certain temps, cela est devenu aussi clair que le cristal, principalement aux acteurs régionaux comme l'Égypte et l'Arabie Saoudite. Alors qu'à présent, les États-Unis semblent avoir une idée plus définie de l'emplacement des véritables allégeances du Qatar et de la Turquie. Sinon, pourquoi le secrétaire d'état John Kerry aurait-il fait appel aux deux pays pour demander la libération du captif Hadar Goldin, soldat israélien, avant que les Israéliens n'annoncent sa mort ?
Le Qatar est largement considéré comme le commanditaire principal du Hamas. Durant sa visite à gaza en 2012, l'émir Hamad bin Khalifa Al Thani, promettait 400 millions de dollars d'aide économique au Hamas. Le mois dernier, Doha a tenté de transférer des millions de dollars par la Banque arabe de Jordanie pour payer les salaires des fonctionnaires du Hamas dans la bande de Gaza. Bien que la transaction ait été bloquée à la demande de Washington, le soutien se perpétue par d'autres voies importantes. La résidence du chef du Hamas Khaled Mechaal et d'une tripotée d'autres hauts responsables du groupe terroriste, se trouve au Qatar. Soit, ni le Hamas, ni le Qatar ne semblent terriblement préoccupés par l'optique. Des expatriés à Doha discutent des vues de Meshaal, comme le font généralement les New-Yorkais de Woody Allen.
La Turquie est la demeure d'un autre dirigeant du Hamas : Saleh al-Arouri. Arouri, fondateur de la branche des Brigades Qassam, aile militaire du Hamas en Cisjordanie, est devenu une figure de plus en plus saillante au sein du groupe au cours des dernières années. Un responsable israélien de la sécurité, a même récemment révélé qu' « al-Arouri est lié à l'acte de l'enlèvement et du meurtre des trois adolescents israéliens en Cisjordanie en Juin dernier. Parallèlement, le gouvernement turc du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, émerge comme promoteur strident du Hamas. Le gouvernement de l'AKP de M. Erdogan aurait accepté de faire un don considérable au Hamas, principalement à travers des projets de travaux publics comme l'érection de mosquées, construction d'écoles et d'hôpitaux, mais aussi, lui octroyer une aide financière directe, toujours selon certains rapports.
Il n'est donc nullement surprenant que les Israéliens s'opposent au rôle tenu par ces deux mécènes du Hamas dans le processus de négociation de cessez-le-feu, entamé à la suite du déclenchement du conflit actuel de Gaza le mois dernier. Israël n'a pas caché sa contrariété particulièrement à propos de la participation du ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, et du ministre qatari des Affaires étrangères Khaled al-Attiyah à un sommet diplomatique de haut niveau à Paris le 26 Juillet dernier. Ils étaient encore plus irrités lorsque le secrétaire d'état américain avait transmis un plan de cessez-le-feu Qatari-turc à Jérusalem pour évaluation.
Dans les négociations en cours, le Qatar et la Turquie avaient avancé un plan qui favorise par-dessus tout le Hamas. Ils avaient tenté de soustraire un accord unilatéral qui ne tiendrait pas compte des préoccupations sécuritaires d'Israël, décontractant le blocus israélien sur la bande de Gaza contrôlée par le Hamas, et contribuant à rattacher le régime/gouvernement terroriste palestinien à l'économie mondiale.
Mais l'offense de cette dynamique n'affectait pas seulement Israël. L'Organisation de libération de la Palestine (OLP) attaqua violemment la Turquie et le Qatar pour leur « contournement de l'OLP, unique représentant légitime du peuple palestinien » au sommet de Paris. Mahmoud Abbas, Président de l'OLP s'était déchainé contre le Hamas qui se dissimulait derrière les jupes de ses deux patrons. « Ceux qui veulent que le Qatar et la Turquie les représentent doivent quitter et se rendre dans ces pays pour y vivre », raillait-il – éperon à Meshaal, qu'Abbas considère comme un rival politique et qu'il tourbe souvent en dérision, à cause de sa gestion à distance du groupe terroriste, dans le confort d'un hôtel à cinq étoiles à Doha.
D'autres, dans le monde arabe, les monarchies traditionnelles en particulier, qui cherchent à contrer l'influence déstabilisatrice de la Confrérie Musulmane, sont tout aussi furieux du rôle tenu par le Qatar et la Turquie dans les négociations sur le cessez-le-feu. Comme le rapporte Newsweek, « Les fonctionnaires de ... l'Arabie saoudite et la Jordanie, pour n'en nommer que quelques parties intéressées, observent avec surprise l'empressement de Kerry en ce week-end à Paris auprès des ministres des Affaires étrangères du Qatar et de la Turquie ». De la gauche israélienne, Haaretz a également noté que la promotion du Qatar et de la Turquie constituait une « gifle » aux puissances régionales.
L'Égypte en a été également contrariée. Le gouvernement du président Abdel Fattah al-Sisi a renversé l'année dernière le président Mohammed Morsi, soutenu par la Confrérie Musulmane turque et qatarie. Le nouveau régime voit le Hamas, formé par la Confrérie en 1987, comme une extension de son ennemi idéologique. Le gouvernement Sisi était apparemment tellement en colère contre l'inclusion du Qatar et de la Turquie dans les négociations de Paris qu'il a refusé d'envoyer son ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri. Shukri a récemment accusé la Turquie et le Qatar de tenter de «déjouer» les efforts égyptiens pour négocier une fin du conflit.
Les divisions profondes au Moyen-Orient concernant la Confrérie Musulmane et le Hamas sont le symptôme d'un phénomène beaucoup plus large. Il y a eu une désintégration des rôles traditionnels du Moyen-Orient depuis le printemps arabe. L'Égypte n'est plus le plus puissant proxy US dans le monde arabe. Le Qatar et la Turquie tentent de percer avec leur poids, tout en exploitant les liens tendus entre Israël et les USA sur le programme nucléaire iranien. Plusieurs pays sont trop embourbés dans leur propre chaos pour s'en intéresser de toute façon. L'impasse sur le front diplomatique qui en découle se traduit, dans une certaine mesure, dans les difficultés de négocier un cessez-le-feu au terme de quatre semaines de combats acharnés dans la bande de Gaza.
Le hic : Israël et l'Égypte sont les deux pays qui ont des frontières communes avec Gaza. S'ils ne veulent pas se plier aux demandes de cessez-le-feu du Hamas et de ses patrons - indépendamment ou conjointement - c'est finalement leur appel. Plus important encore, l'Égypte et Israël savent que le Qatar et la Turquie ne sont pas de simples courtiers honnêtes. Ils ont largement contribué à créer cette crise avec le Hamas et prétendent maintenant vouloir la résoudre.
Certains soutiennent que le Qatar et la Turquie jouent un rôle diplomatique nécessaire puisqu'en qualité d'alliés du Hamas, ils peuvent amener les islamistes de la bande de Gaza autour de la table. Il est toutefois incertain que Doha ou Ankara soit en mesure de réellement le faire. Al-Attiyah et Davutoglu ont joui d'un tour de victoire immérité le jeudi lors de la publication conjointe de l'annonce d'un cessez-le-feu humanitaire de trois jours dans la bande de Gaza. Le cessez-le-feu a pris fin le jour suivant, deux heures seulement après son amorce, avec la capture de Goldin.
C'est alors que Kerry s'est tourné vers les deux pays, implorant leur aide pour libérer le soldat israélien comme étape initiale vers un autre cessez-le-feu. Davutoglu refusa de reconnaitre que le Hamas était responsable de l'enlèvement, mais il répondit qu' « ensemble avec d'autres, nous pourrons prendre les mesures nécessaires pour résoudre le problème du soldat israélien. Si la Turquie peut contribuer, nous ferons de notre mieux ». Les Qataris n'avaient émis aucun commentaire.
Mais les membres du Congrès ont quelque chose à dire sur le rôle de ces deux pays dans leur soutien au Hamas. Les législateurs ont rédigé des lettres aux responsables du Qatar et de la Turquie l'année dernière, exprimant leur profonde consternation à l'égard de leur parrainage d'états-terroristes et de groupes terroristes. Peter Roskam (R-Ill.) du Congrès américain, a publié une lettre adressée le jeudi dernier à Kerry et au secrétaire au Trésor Jack Lew, exigeant que Washington réévalue ses relations avec Doha, dont son hébergement de la plus grande base aérienne américaine au Moyen-Orient, s'il continue à soutenir le Hamas.
Pour l'instant, le Qatar et la Turquie semblent avoir été écartés après l'annonce du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qu'Israël se retire unilatéralement de Gaza sans négocier les termes avec le Hamas. La raison officielle de Netanyahu est qu'on ne peut pas faire confiance au Hamas de tenir sa part du contrat. Mais, ce faisant, le Premier ministre israélien a également nié l'influence des principaux mécènes du Hamas, les laissant sans un rôle diplomatique à jouer dans les négociations en cours au Caire.
Ce n'est bien sûr, qu'une question de temps, avant qu'une conférence diplomatique ne prenne assez de vigueur à nouveau. Qu'importe le timing, ce dernier mois a permis de clarifier un certain nombre de choses au sujet du Qatar et de la Turquie. Ces deux mécènes du Hamas ne doivent pas faire partie de l'équipe de négociation dans tout accord futur. Ils doivent se ranger aux côtés des représentants du groupe terroriste qui leur sied admirablement.