Les dirigeants palestiniens en Cisjordanie se réfèrent à l'actuelle vague de terreur qui ligote Israël, comme un «élan populaire» sha'abiya de haba. L'imagerie suggère que la vague de terreur généralisée est temporaire, violente, mais pas catastrophique. C'est une façon qui permet à Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, de reconnaître le sentiment public actuel tout en évitant des termes évoquant une intifada, laquelle implique une campagne à long terme avec sa complicité.
Approuvant des actes de violence tout en évitant la responsabilité est une question de survie au vieillissant Abbas. Les membres de son parti, le Fatah sont près de se révolter suite à leurs incessantes demandes de nommer un successeur. Son Autorité Palestinienne est perpétuellement à court d'argent et sur le point de s'effondrer. Et son offensive diplomatique contre Israël dans la communauté internationale risque timidement d'inciter des représailles d'Israël – l'unique acteur véritablement capable de le renverser.
Abbas sera probablement en mesure d'empêcher un soulèvement à part entière. Mais il y a d'autres facteurs dont : La lutte pour la succession, la crise financière palestinienne, et la campagne diplomatique internationale - qui se révéleront beaucoup plus malaisés pour lui de contrôler. Si l'un de ces facteurs se transforme en poudrière, cela signifiera la tourmente à la fois à Ramallah et à Jérusalem.
Qui viendra après Mahmoud Abbas ?
Mahmoud Abbas est âgé de 81 ans, fume un paquet de cigarettes par jour, avec deux chirurgies cardiaques sous sa ceinture. Ses onze ans en tant que président de l'Autorité palestinienne (il a été élu pour un mandat de quatre ans) dépassent désormais celui de son prédécesseur, Yasser Arafat. Et comme Arafat, Abbas se voit comme président à vie. Il n'a pas de successeur évident et a jusqu'à présent refusé d'en nommer un. Interrogé par un journaliste israélien en janvier dernier au sujet de son plan de succession, Abbas affirmait que les « institutions palestiniennes » choisiraient son successeur après son départ.
Le problème est que : Les institutions palestiniennes sont dans une situation encore plus exécrable maintenant qu'elles ne l'étaient à la mort d'Arafat en 2004. Loi fondamentale palestinienne stipule que si le président décède durant son mandat, le pouvoir ira à l'orateur du parlement palestinien pour une période de 60 jours – temps nécessaire pour la préparation des élections nationales. Ce qui semble raisonnable, sauf que le Parlement est mort depuis le conflit fratricide de 2007 entre le Fatah et le Hamas (qui avait quitté la Cisjordanie sous le contrôle de l'Autorité palestinienne dominé par le Fatah, et la bande de Gaza sous le Hamas). Pour compliquer encore cette question, le fait est que, si Abbas disparaît aujourd'hui, son pouvoir tombera au dernier orateur élu du Parlement : Aziz Dweik du Hamas.
Que le plan probable de succession palestinien se défile de la Loi fondamentale pour mieux ressembler au processus de conclave du Vatican n'est pas une coïncidence. Abbas a anéanti les pousses vertes de la démocratie palestinienne au cours de la dernière décennie, ce qui rend pratiquement impossible à ses rivaux de le défier dans l'arène politique.
Comme beaucoup d'autres autocrates régionaux, Abbas semble croire que la nomination d'un successeur ne ferait qu'encourager ses ennemis. Mais cela n'a pas empêché ses ennemis de se soulever. À présent, Mohammad Dahlan, protégé d'Arafat et ancien chef des forces de sécurité de l'AP à Gaza est la plus grande menace d'Abbas. Dahlan était en charge lorsque l'Autorité Palestinienne avait perdu Gaza dans la sanglante et brève guerre civile de 2007. Abbas à enroulé cette défaite autour de son cou, l'exilant en 2011. Depuis, Dahlan réside aux Émirats Arabes Unis, agissant en tant que conseiller du prince héritier d'Abu Dhabi. Dahlan est en train de planifier son retour. Il critique le style de gouvernement d'Abbas à chaque occasion, et rallie les alliés des pays arabes voisins pour saper le pouvoir au dirigeant palestinien.
Les activités de Dahlan semblent renforcer le besoin perçu d'Abbas de réprimer tous les adversaires possibles. Il a écroué des journalistes pour des rapports sur la corruption, des chefs syndicaux pour contester l'Autorité Palestinienne et des citoyens palestiniens réguliers pour des messages sur Facebook qu'il juge controversés. Un groupe de droits civils palestiniens, MADA, a estimé que les agressions contre les journalistes ont doublé, passant de 54 en 2014 à 110 en 2015. Un professeur palestinien de premier plan est apparu à la télévision palestinienne en janvier dernier insinuant qu'Abbas devrait être exécuté pour trahison. Deux jours plus tard, il a été arrêté par l'Autorité palestinienne.
Lorsque Yasser Abed Rabbo, secrétaire général de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), a critiqué le style de gouvernement autocratique d'Abbas durant la mi-2015, Abbas l'a congédié et l'a remplacé par un de ses partisans, Saeb Erekat. Lorsque les membres de l'OLP ont refusé d'entériner cette décision, il les mit à l'écart. C'est pour cette raison que les membres du parti Fatah d'Abbas ont exigé qu'il nomme un successeur lors de la prochaine conférence du parti. Mais cette conférence du groupe a été reportée depuis 2014.
Malheureusement, le Département d'État américain refuse de relever le défi de la succession par crainte de contrarier Abbas. En conséquence, le prochain dirigeant palestinien recevra presque certainement le pouvoir sans vote significatif du peuple palestinien. Que le peuple rétif palestinien soit satisfait de son prochain dirigeant reste à voir. À l'ère du printemps arabe, il n'est guère difficile d'anticiper des troubles en réponse à une sélection impopulaire.
Est-ce que l'Autorité palestinienne collapsera ?
La sortie d'Abbas étant prévue dans les mois ou les années à venir, c'est assez courant que les analystes proclament l'agonie ou la mort de l'Autorité Palestinienne. Mais il est impossible d'affirmer le niveau de vie du corps paraétatique qui reste. Ce qui est clair, est qu'il vient juste de marquer sa 22e année de ce qui avait été conçu pour n'être une phase de cinq ans, et il s'affaiblit progressivement. La corruption est endémique, le législateur a disparu depuis près d'une décennie, et le Premier ministre Rami Hamdallah se plaint régulièrement de la diminution de l'aide internationale. Les sondages de Septembre 2015 ont démontré que plus de la moitié des Palestiniens était en faveur du démantèlement de l'Autorité Palestinienne.
Pour conserver le contrôle de la Cisjordanie, Abbas s'appuie sur une branche d'un de l'Autorité Palestinienne qui fonctionne toujours à un niveau élevé : L'appareil de sécurité. Les services de sécurité ont contribué à étouffer de nouveau les progrès du Hamas en Cisjordanie par des arrestations et des raids, empêchant ainsi une prise de contrôle similaire à celle du Hamas qui avait limogé Gaza en 2007. Pour cette raison, Israël est profondément investi dans le succès les services de sécurité. Ainsi, tout au long de la récente vague d'attentats terroristes Abbas avait maintenu la coordination de la sécurité de l'Autorité Palestinienne avec Israël, autorisant parfois des raids conjoints avec l'armée israélienne contre les terroristes potentiels en Cisjordanie. Majid Faraj, maître espion de l'Autorité Palestinienne, avait déclaré aux News de la Défense en janvier dernier que l'AP avait de façon préemptive arrêté plus de 200 attaques terroristes contre les Israéliens. Abbas est allé encore plus loin, disant aux journalistes en 2014 que la coordination de la sécurité avec Israël était «sacrée» pour les Palestiniens.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré lors d'une récente réunion du cabinet qu'il est peu probable qu'Abbas démantèle l'Autorité palestinienne lui-même, mais qu'elle pouvait toutefois s'effondrer en raison du système politique palestinien sclérosé. Le scénario de cauchemar pour le duo Netanyahu et Abbas serait lorsque les frustrations de Cisjordanie invitent éventuellement les Palestiniens à prendre les rues pour protester non pas contre Israël, mais contre Abbas. La Cisjordanie a effleuré un tel scénario en juillet 2014, quand entre 10.000 à 25.000 Palestiniens avaient défilé de Ramallah au checkpoint de Qalandiya, près de Jérusalem pour protester contre la guerre à Gaza. Ce fut la plus grande manifestation palestinienne dans au moins une décennie, et même si elle était en partie soutenue par le parti Fatah d'Abbas, elle a rapidement dégénéré en une émeute à grande échelle qu'Abbas s'était vu contraint de contrôler.
Abbas et l'Autorité palestinienne n'avaient pas permis une manifestation similaire puisque, en grande partie ils savent que le prochain tour pourrait revenir à Ramallah. Les dirigeants palestiniens reconnaissent tranquillement cette préoccupation, et regardent nerveusement la légitimité de l'Autorité palestinienne qui poursuit son déclin.
L'avenir de la Palestine 194
Pour contourner les vives critiques lancées contre lui et son gouvernement défaillant, Abbas s'est replié sur ce qui est maintenant connu sous le nom « Palestine 194 » - une campagne diplomatique internationale de cinq ans contre Israël.
Bien qu'une grande partie de la campagne ait donné jusque là l'accent sur les déclarations d'indépendance plutôt futiles et l'adhésion à des organisations internationales peu connues aux Nations Unies, l'effort prend une nouvelle tournure. Les Palestiniens sont maintenant axés sur la convocation d'une conférence internationale pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
Même si cela semble bénin, cela ne l'est pas - du moins, pas pour Israël. Les Palestiniens veulent que cette conférence lie Israël à un ensemble de paramètres, suggéré par les Palestiniens et appliqué par la communauté internationale, de jeter les bases et d'accélérer le calendrier pour l'établissement d'un État palestinien. Comme l'avait déclaré un des hauts responsables du Fatah et l'AP l'année dernière, une « route internationalisée » ferait en sorte que « les négociations futures jouent le rôle de la mise en œuvre de ce qui a déjà été approuvée au niveau international ».
Pour comprendre la nervosité des Israéliens à ce sujet, il est instructif d'examiner l'accord nucléaire profondément vicié atteint l'été dernier entre les P5 + 1 négociateurs internationaux et l'Iran. Cet accord a laissé Israël vulnérable et l'Iran considérablement plus fort. Ainsi, lorsque Mohammad Shtayyeh, responsable du Fatah et ancien négociateur de paix avait réclamé une conférence en novembre dernier, il avait spécifiquement mentionné les négociations nucléaires : « S'il y avait une conférence de Genève pour l'Iran, avec le succès 5 + 1 formule », avait fait valoir Shtayyeh, «pourquoi ne devrait-il pas y avoir une conférence internationale pour la Palestine ? »
Alors que les Palestiniens poursuivent une telle conférence, ils continuent à considérer d'autres éléments de la campagne de Palestine 194. Par exemple, ils ont rejoint la Cour pénale internationale (CPI) l'année dernière, avec l'intention de poursuivre les Israéliens pour crimes de guerre, mais ils ont été coincés dans le purgatoire juridique depuis leur adhésion à l'organisme international. La CPI peut avoir réussi à inquiéter les responsables israéliens mais toute décision sur la construction de colonies, par exemple, il est peu probable qu'elle puisse pendant de nombreuses années, et même alors, il lui serait difficile de voir comment une décision pourrait ouvrir la voie à un État palestinien.
Néanmoins, Abbas et les Palestiniens voient une fenêtre d'or pour la campagne de Palestine 194 dans la dernière année de la présidence de Barack Obama. Le président a été excessivement sympathique aux Palestiniens tout au long de sa présidence, et semble même travailler sur les marges pour soutenir l'effort de la Palestine 194. Par exemple, il a amélioré l'ambassade de l'OLP à Washington au sein de déclarations d'indépendance palestinienne aux Nations Unies, et a martelé publiquement Israël pour la construction d'implantations. Mahmoud Abbas sait qu'avec un Washington moins disposé à protéger de ses efforts Israël, et avec l'ONU et l'UE fermement de son côté, il y a des chances de progresser. Ce qu'il va accomplir demeure toutefois peu clair. Mais la prochaine administration américaine, républicaine ou démocrate, sera presque certainement moins sympathique à sa campagne.
Conclusion
Il existe plusieurs alternatives aux décideurs américains et israéliens afin de conjurer les crises mentionnées ci-dessus. Tout d'abord ce serait d'exiger qu'Abbas nomme un successeur, qu'il soit un membre suppléant de son parti, le Fatah, ou comme vice-président. Une telle démarche pourrait déclencher la colère de ses rivaux politiques en Cisjordanie et à Gaza, et cela n'aiderait en rien la cause de la démocratie, mais permettrait aussi aux États-Unis et à Israël de se préparer à une phase de transition. Si Abbas meurt subitement sans successeur évident, une lutte violente pour le pouvoir est plus probable qu'une répétition de la transition relativement douce après la mort d'Arafat en 2004.
Travailler pour assurer une transition en douceur vers l'ère post-Abbas va de pair avec la prévention de l'effondrement de l'Autorité palestinienne. Les États-Unis et Israël ont plusieurs mesures palliatives à leur disposition pour éviter un tel effondrement. La première est le renforcement de l'économie palestinienne, qui a longtemps été dépendante d'Israël pour la croissance, d'une manière qui ne compromette pas la sécurité d'Israël. La deuxième priorité devrait cibler la revitalisation de la société civile palestinienne stagnante. Les dernières années de la présidence Abbas ont vu pousser des réformateurs (Premier ministre Salam Fayyad) et des personnalités politiques indépendantes (Yasser Abed Rabbo), tout en érodant l'indépendance des journalistes et le pouvoir judiciaire. Trouver des moyens d'insuffler une nouvelle vie dans l'espace politique et les institutions clés afin de réduire la tension sur l'Autorité palestinienne.
Contrer la campagne de Palestine 194 exigera une créativité similaire. L'échec de ce qui avait débuté comme une périphérie de « Plan B » dans les séquences de négociations pour la paix s'est transformé en « Plan A » Les attaques d'Israël sur la scène mondiale ont reçu un soutien quasi unanime des alliés d'Abbas au sein du Fatah jusqu'à leurs rivaux dans des groupes tels que le Hamas. Ces démarches ont déjà un prix. Le Congrès a puni les Palestiniens dans l'adoption de nombreuses initiatives diplomatiques. Mais il serait aussi important d'équiper le peuple palestinien avec un sens clair des étapes requises et bienvenues pour la formation de l'État.
L'administration d'Obama, a cependant montré peu d'empressement à dépenser son capital politique sur la politique palestinienne durant la dernière année de son mandat, et les politiciens israéliens préfèrent la stabilité relative à court terme d'Abbas au processus de réforme potentiellement instable à long terme. Pourtant, il est dans l'intérêt de l'Amérique, d'Israël et des Palestiniens d'entamer une revitalisation qui non seulement aborde les dirigeants intransigeants, mais injecte une certaine vitalité dans les institutions de Cisjordanie. Alors seulement, avec de nouveaux dirigeants et un sens renouvelé de l'ouverture politique, les conditions seront plus mures pour faire la paix avec Israël.