Après avoir déployé son arsenal terrestre et aérien sur le sol syrien, la Russie fignola un accord avec les dirigeants chiites iraquiens et iraniens afin de coordonner leurs efforts militaires. Sur le podium de l'ONU, Vladimir Poutine, président russe, donnait l'impression d'avoir réussi une manœuvre magistrale de puissance au Moyen-Orient. Mais Poutine semble avoir oublié les dangers du voisinage qu'il cherche à dominer. Plus important encore, il ignore l'histoire récente concernant l'ingérence russe dans le monde musulman. Si le passé est un prologue, les choses pourraient devenir bien sanglantes.
Le président américain Barack Obama, qui est indubitablement évalué comme plus faible en raison du tour de force de Poutine en Syrie, a récemment averti que le Kremlin pourrait bien aller en direction d'un bourbier. Il ne fait aucun doute qu'il y a ici un élément de raisins aigres, mais Obama a un point. Les masses de factions de défense sunnites qui combattent déjà en Syrie - tant les djihadistes que les soi-disant modérés – sont à l'heure actuelle unanimement furieuses contre les tentatives russes de renforcer le régime d'Assad. Le sont aussi les patrons financiers traditionnels de l'Islam militant au Moyen-Orient : Les Saoudiens ont ouvertement appelé à la fin des frappes aériennes russes.
En surface, les choses entre la Russie et les Saoudiens semblent assez complaisantes. Juillet dernier, l'Arabie saoudite annonçait qu'elle allait investir jusqu'à 10 milliards de dollars dans des projets agricoles russes, médecine, logistique et dans des secteurs commerciaux et immobiliers. Cet été, les deux pays ont signé un accord de coopération sur la puissance nucléaire, accompagné de rapports d'achat potentiel d'armes.
En parallèle, une guerre saoudienne économique contre la Russie est également en cours. Bien que l'Iran est leur cible principale, les Russes en subissent le contrepoids. En 2014, alors qu'il devenait de plus en plus évident que la Russie et l'Iran s'engageaient à étayer le régime d'Assad en Syrie, les Saoudiens avaient refusé de réduire la fourniture excédentaire sur le marché. Cela a démoli Moscou et Téhéran, dont les budgets se basent sur le prix du baril respectivement entre $80-90 et $72. À l'heure actuelle, le pétrole a chuté à $45 le baril.
Comme le souligne un diplomate saoudien à propos de cette stratégie économique, « si le pétrole peut servir à amener la paix en Syrie, je ne vois pas comment l'Arabie saoudite pourrait repousser une tentative de parvenir à un accord ». Il est peu probable que la Russie, sous le choc du coût faible du pétrole, aggravé maintenant par les sanctions internationales après leur invasion de l'Ukraine, verrait charitable la manœuvre de l'Arabie Saoudite.
Comme dans le passé, les bénéfices du pétrole et pas la pauvreté en pétrole, demeurent toujours le jeu de l'Arabie Saoudite. Dans les années 1970, par exemple, les Saoudiens s'enrichissaient grâce à leur énorme richesse pétrolière pour contrer les gouvernements communistes soutenus par la Russie et les mouvements politiques. Ils l'ont fait avec plus de 10 milliards de dollars en aide étrangère et militaire à des pays comme l'Égypte, le Yémen du Nord, le Pakistan et le Soudan. Le financement saoudien avait particulièrement contribué à soutenir les opérations antisoviétiques (et anti-libyennes) et des alliances en Angola, au Tchad, en Érythrée et en Somalie.
Mais elle n'était pas seulement une stratégie de remparts. Les Saoudiens ont alimenté une génération de combattants islamistes zélés. Les Saoudiens, particulièrement opposés à l'idéologie communiste athée, ont finalement financés et organisés jusqu'à 250.000 combattants moudjahidines après que les Soviétiques aient envahi l'Afghanistan en Décembre 1979. Grâce à l'inspiration de l'Arabie et à l'argent, à la logistique pakistanaise et l'aide américaine supplémentaire, les moudjahidines arabes se sont déversés en Afghanistan.
Les pertes soviétiques dans la guerre en Afghanistan de 1979 à 1989, remontent à environ 14.500 soldats, en addition aux nombreux mutilés et blessés. Les horreurs de la ligne de front n'avaient pas atteint la population russe pendant un certain temps, alors que l'Union soviétique dissimulait de nombreux détails et décès secrets durant les premières années. Mais finalement le Kremlin fut contraint de concéder. Après une décennie de lourdes pertes, l'Armée Rouge s'est retirée, suivie peu de temps après par la chute de leur gouvernement fantoche à Kaboul.
En bref, la dernière fois que les Saoudiens avaient pris en charge de faire échouer la politique russe dans cette partie du monde, ils avaient terriblement amoché les Russes. Et dans le processus, une génération de combattants djihadistes naquit en Afghanistan, plantant les graines des talibans et d'Al-Qaïda. Aujourd'hui, trois décennies plus tard, ces acteurs font encore des ravages, et leur progéniture - l'État Islamique notamment - est un modèle encore plus radical que celui qui l'a précédé.
L'avance est rapide à ce jour alors que les forces djihadistes ciblent déjà les russes en Syrie. Nous avons observé une série d'attaques au mortier contre l'ambassade de Russie à Damas au cours des derniers mois, ainsi qu'un certain nombre de signaux d'attaques à la roquette sur la base aérienne russe au sud de Lattaquié.
Les Saoudiens sont-il derrière tout cela ? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons est que les Saoudiens ont dépêché des armes sophistiquées à l'opposition syrienne depuis 2012 par le truchement d'alliés tribaux sunnites en Irak et au Liban. Les bénéficiaires des cadeaux de l'Arabie Saoudite ne présentent pas exactement de fichiers de taxes en Syrie, mais au sein de la confusion de la guerre, il semble que des groupes comme le Jaish al-Islam et Jaish al-Fatah peuvent bien être dans le camp saoudien.
Jaish al-Islam a revendiqué un certain nombre d'attaques de grande portée contre le régime syrien, dont celle de 2012 sur le bâtiment de la sécurité nationale qui a tué ministre de la Défense de M. Assad, le vice-ministre de la Défense, et le conseiller à la sécurité nationale. Le groupe a aussi récemment publié une vidéo déclarant la guerre aux soldats russes en Syrie. Le chef d'un groupe de Jaish al-Fatah, pour ne pas être en reste, a prévenu la Russie qu'il a hâte de « massacrer » ses troupes.
Pour que tout groupe proxy puisse réussir, il lui faudra rehausser le coût des attaques aériennes de l'aviation russe et syrienne. Les rebelles soutenus par les USA ont réclamé des armes antiaériennes pour remplir exactement ce travail. Il est difficile de savoir si leurs demandes seront satisfaites, mais il est important de noter que c'est exactement ce type d'arme qui avait finalement changé la situation de la guerre aux moudjahidines dans les années 1980, lorsque les hélicoptères russes commençaient à chuter du ciel. Le gouvernement saoudien ou les proches de la famille régnante peuvent être moins préoccupés par l'opposition américaine concernant l'envoi de ces armes en Syrie. Après tout, la Russie est fondamentalement à sa porte.
Entre-temps, des personnalités religieuses saoudiennes font pression. 52 religieux saoudiens ont publié une déclaration condamnant l'intervention russe pour des raisons religieuses. Abdullah al-Muhaysini, un religieux saoudien en Syrie, affilié au Front Nusra, prévenait explicitement que la Syrie deviendra un «cimetière» et un autre Afghanistan pour Moscou.
En d'autres termes, certains prêcheurs saoudiens affublent ce conflit d'un halo religieux. Comme si les djihadistes sunnites avaient besoin de plus d'une raison pour considérer le théâtre syrienne comme leur prochain djihad, l'église orthodoxe russe est sortie à l'appui de l'intervention russe en Syrie, la qualifiant de « bataille sainte ». Les autorités religieuses saoudiennes on dénoncé cette nouvelle «croisade» chrétienne.
Ce qui est certain, c'est qu'il ne manque pas d'états arabes sunnites qui souhaitent cibler les Russes. Beaucoup de ces États, dont le Qatar et le Koweït, ont déjà leurs groupes sur le terrain qu'ils pourront employer au moment opportun. Il est difficile de croire qu'ils ne mobilisent pas d'autres actifs pour cette mission, particulièrement à l'heure où des opérations russes au sol prennent forme.
Mais ce sont les saoudiens qui ont fait cela auparavant sur une grande échelle. Si Riyad veut armer la prochaine vague de djihadistes pour cibler la Russie, elle l'est déjà. Qu'importe la forme que revêtira le djihad anti-Russie, il suivra les traces du djihad afghan, faisant du monde un endroit beaucoup plus dangereux.